Jasper Gwynn, romancier anglo-saxon déjà plutôt connu publie dans un journal un article dans lequel il annonce qu'il n'en écrira plus. Il s'embarque peu après dans la réalisation de portraits écrits de personnes volontaires. La condition étant pour eux de payer et de rester nus et qu'éventuellement l'affaire prenne du temps. L'artiste reste à observer, en théorie sans s'impliquer. Cette expérience l'entraînera plus loin que prévu et ne sera pas sans incidence sur l'existence de Rebecca, la jeune femme qu'il embauche pour l'assister après l'avoir sélectionnée comme élément d'essai.
Que penser de l'ouvrage ? Pour des raisons personnelles et d'avoir été moi aussi manipulée un jour par un romancier séducteur qui à l'instar de mister Gwyn n'arrivait plus à écrire, j'ai eu du mal avec le début ; un piège similaire se mettait en place pour la jeune femme.
Mais l'écriture est élégante comme toujours chez Alessandro Baricco, que ce soit en V.O. ou dans cette traduction de Lise Caillat, la narration délicatement menée, les notations psychologiques fines. Le roman n'est donc pas sans charme pour qui apprécie les livres "où il ne se passe (presque) rien".
Passé la moitié des pages, le personnage de Rebecca prend de l'ampleur et de l'épaisseur, et accorde au lecteur le plaisir de lire et en tout cas de l'intérêt. Par exemple dans la façon qu'elle a plus tard de comprendre à retardement certaines choses qu'elle a traversées sans avoir assez d'éléments sur le moment pour en percevoir toute la portée.
Au bout du compte même un brin bancal ou laissant une légère impression d'inachevé, c'est un livre qu'on peut apprécier.
extraits :
"Il aimait particulièrement écrire quand il était à la laverie, au milieu des tambours qui tournaient, au rythme des magazines feuilletés distraitement sur les jambes croisées des femmes qui ne semblaient cultiver d'autres illusions que la finesse de leurs chevilles." (p21)
"Le vieil homme eut peut-être les larmes aux yeux, mais on ne pouvait l'affirmer parce que les yeux des vieux pleurent toujours un peu". (p 179)
"Elle adopta donc durant plusieurs jours la seule attitude qui lui parut appropriée - l'attente. [...] Puis un matin, on lui livra au bureau un gros paquet, accompagné d'une lettre et d'un livre. Dans le paquet il y avait tous les portraits, chacun dans sa chemise. Dans la lettre, Jasper Gwyn précisait que c'était les copies qu'il avait faites pour lui [...] Il ajoutait une minutieuse liste de choses à faire. [...]