C'est l'histoire vraie d'un ancien marcheur, Engraciano Sainz (1), dont la France n'aura pas voulu et qu'un de ses descendants a reprise, dans une très belle évocation, un récit non linéaire qui laisse la part belle au lecteur.
Le travail du romancier n'en est pas moindre : il se présente ici comme le frère du sportif, un frère qui accédant au grand âge désire laisser une trace des exploits de son aîné sinon oublié.
Le jeune sportif était mort en pleine progression de ses capacités, atteint par une angine mal soignée alors qu'il effectuait son service militaire en Espagne. Son drame était d'avoir grandi en France, de s'être cru français mais d'avoir découvert en 1932 que le pays d'accueil de ses parents ne le considérait pas comme éligible à la sélection nationale. S'il souhaitait participer aux J-O il lui fallait passer par le pays d'origine de ses géniteurs, mais pour cela y effectuer un temps sous les drapeaux. Et qui lui fut fatal.
On le comprend dès les premières pages, l'absurdité de ce décès, de ces malheurs qu'on ne peut s'empêcher de croire rétrospectivement évitables, sans savoir si le cours logique des choses aurait au bout du compte été plus ou moins favorable. Dans cette ignorance que nous en avons tous, le frère âgé imagine pour son frère alors jeune le destin prévu, les J-O de Los Angeles, sa participation. Il lui adjoint une (belle) amoureuse, présence en filigrane, fraternelle attention.
Le tour de force de ce roman est là : nous sommes avec le coureur dans cette course qu'il n'a pas faite, mais fait quand même et tout en le sachant on y est. Par bribes également de délicates évocations d'enfance, d'autres courses, des parents courageux migrants. Le style est épuré, sans fioritures. Chaque partie qui regroupe plusieurs chapitres homogènes (le décès et après, la course imaginée, des courses effectuées ...) est précédé de quelques lignes sur la technique si particulière de la marche athlétique. C'est un petit livre fragile et discret, de ces pépites qu'on se partage entre initiés et qu'on est si heureux d'avoir lu après.
Il n'est pas nécessaire d'aimer le sport pour l'apprécier. Mais il peut constituer une jolie idée de cadeau pour quelqu'un qui aime la marche athlétique ou la course à pied
(1) cf. article "Marathon sang et or" Jean-Claude Perrier, Figaro Livres 15/05/08
"Décembre 1932
Nous ne pleurons pas. "A quoi bon ?", dirait la mère. Alors, je retiens mes larmes. Nous ne nous regardons même pas.
Il neige sur le cimetière de Burgos. Les flocons brillent sur le manteau noir de la mère.
Je n'invente pas cette corruption soudaine dans la tristesse. Le ciel est tendu, raide, pendant que nous nous tenons au garde-à-vous autour d'une pierre tombale plate et blanche, fraîche comme un banc de sable trop visible.
Je n'imagine rien." (p 11)