« Lorsque vous êtes la femme d'en haut, personne ne pense à vous en premier. […] Personne ne vous appelle […], ne vous envoie de carte postale. C'est sans importance, pourriez-vous penser ; Mais pour moi tout espoir avait disparu. » Cette phrase tirée du dernier livre de Claire Messud est prononcée par Nora, une institutrice de quarante ans, seule et mal dans sa peau. Dés lors, le trouble est manifeste et bien d'autres paroles suivront, transmettant le même mal être, la même difficulté à vivre. Elles seront néanmoins atténuées lors d'un événement inattendu : l'arrivée d'une nouvelle famille en ville. Nora va alors s'attacher à eux, devenir leur amie et partager un atelier de peinture avec Sirena, femme de Sahid et maman du petit Reza. Oscillant entre amour, amitié, envie et admiration, sa relation avec chacun des membres de la famille restera toujours très ambiguë mais Nora se défendra du moindre sentiment amoureux appréciant simplement de voir le monde à travers eux. Or en amour comme en amitié, il n'est pas toujours bon de baisser la garde... Claire Messud incarne parfaitement son héroïne, lui donnant de la voix et jonglant avec différentes tonalités, à la fois tendres et passionnées, sombres et cruelles. Elle nous offre un roman émouvant, révélant avec élégance et justesse les recoins cachés de l'âme de Nora et peut-être de beaucoup d'autres femmes. Un hymne à la vie !

Ruby est une infirmière qui aime s’amuser et veut voir le bon côté des choses, M. Jeffreys a pour mission de rationaliser la gestion de l’hôpital où elle travaille. Ruby est un peu cruche, M. Jeffreys un peu agaçant avec sa bonne conscience et sa condescendance. Ils ne se connaissent pas vraiment, jusqu’au jour où M. Jeffreys croit que Ruby a découvert quelque chose à son sujet. La tension monte alors jusqu’à un magistral affrontement. C’est une plongée au cœur de la classe prolétaire britannique, dans une ville industrielle, le monde des white trash au crâne rasé, vu à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Alternant les deux points de vue, John King fait monter la pression au fur et à mesure qu’il dévoile la vérité des êtres, et le danger d’une société qui juge la valeur des hommes à leur utilité. Magistralement construit et effrayant de justesse.

Le cru Nothomb 2014 est tout à fait plaisant à déguster. Continuant dans la veine autofictionnelle humoristique, elle se met cette fois en scène à la recherche de l’idéal compagnon de beuverie (comprenez beuverie au champagne exclusivement). Celui-ci s’étant révélé être une jeune femme rebelle et extravagante, s’ensuit alors une série de scènes sympathiquement alcoolisées, loufoques et souvent bien croquées. C’est court, ça se lit vite et s’oublie de même, et comme souvent chez Nothomb, se termine sur une pirouette.

Cornouailles, septembre 1981. Chris Napier assiste au mariage de sa nièce dans le fief familial, lorsque celui-ci est troublé par l’apparition de Nicky, son meilleur ami d’enfance, qui se suicide peu après lui avoir jeté quelques phrases sibyllines. Les deux amis ne s’étaient pas revus depuis 1947 et l’assassinat du grand-oncle de Chris par le père de Nicky. Et puisque le passé semble refaire surface inéluctablement, Chris s’emploie en mémoire de son ami à faire la lumière sur les secrets de sa famille. Robert Goddard n’a pas son pareil pour transformer les respectables et paisibles familles bourgeoises en nœuds de vipères, championnes de manipulation et de dissimulation. L’enquête de Chris le long des côtes de Cornouailles est diablement prenante, quoi que sans aucune exubérance. Espérons que Sonatine continuera de nous faire découvrir l’œuvre de cet excellent manipulateur.

La première ligne de l'ouvrage indique que c'est un article d'un journal italien, datant de 1995 qui l'a inspiré. Intriguée, je suis tombée sous le charme de ce bref roman au style élégant : pas d'effets ni de fioritures mais les mots précis et justes pour exprimer les sentiments. Une force de nous plonger en quelques mots dans une ambiance, un lieu. Nous sommes donc à Rome, avec ce professeur qui s'apprête à entrer en cours, prend un expresso au comptoir du café près du lycée tout en parcourant le journal du matin. Il tombe sur un article qui le bouleverse au point de lui faire renoncer à se rendre au travail et file marcher à travers la ville. On apprend très vite que l'article concernait la publication, une vingtaine d'années après sa mort, de documents intimes concernant une chanteuse qui fut célèbre, on comprend que le professeur presque retraité fut un beau jeune homme qui dans la vie de cette femme avait compté. Et qu'elle avait changé la sienne. La narration nous emmène dans ces heures éblouies, nous ramène aussi dans le présent. Quelque chose est très réussi de rendre palpable l'effet du temps qui passe. L'article, qui le nomme, va en effet pousser le professeur à dévoiler aux siens une partie de sa vie qu'il avait tue. Enfin, il se trouve que l'histoire est directement inspirée d'une vraie chanteuse. Je l'ai lu sans savoir mais suppose que les fans sont déjà au courant. Pour eux, qu'elle évoque et si délicatement la femme qu'ils adulent devrait être un bonus merveilleux.